Après l’interview de Gilbert Payet, préfet des Pyrénées-Atlantiques, nous avons posé 6 questions à Cécile Gensac, procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de Pau…
Tout d’abord, quelle est l’importance des délits routiers au niveau du Parquet de Pau ? Commet analysez-vous la situation, notamment au niveau des comportements ?
Cécile Gensac – Le contentieux routier est dévolu à un magistrat sur les six, pour 50 pour cent de son temps de travail. Il pourvoit en moyenne 2 audiences par semaine. Il s’agit d’un contentieux dit « de masse » c’est à dire important en chiffres, mais également en enjeu.
La Justice sanctionne, mais elle a aussi un rôle important pour éviter la récidive. Comment concevez-vous son positionnement entre fermeté et pédagogie ?
C. G. – Je note tout d’abord que de très nombreuses initiatives nationales mais également locales, notamment sous l’impulsion de la préfecture, promeuvent la prévention en matière de sécurité routière.
Une fois que l’acte interdit a été posé, le rôle du procureur est de faire appliquer la loi en adaptant la réponse pénale aux circonstances des faits et à la personnalité du contrevenant. Les réponses pénales s’échelonnent de la suspension de permis de conduire à l’emprisonnement, en passant par les peines d’amende et la confiscation du véhicule.
La progression des sanctions au fil des infractions commises par une même personne se veut à la fois pédagogique, notamment lorsqu’elles imposent des soins contre les addictions, le suivi de stages de sensibilisation à la sécurité routière ou à l’usage de stupéfiants, ou encore lorsque la peine est assortie du sursis. Mais également répressive, car l’objectif est, derrière la sanction, de convaincre de l’intérêt à ne pas réitérer les faits. Il faut hélas constater que, trop souvent, il n’y a pas de prise de conscience de la gravité des faits tant que l’accident n’est pas survenu et que seule la fermeté de la réponse pénale devient incitative.
Dans certains cas, vous proposez des solutions alternatives comme les ordonnances pénales. Pouvez-vous nous en dire plus et dans quel esprit elles s’inscrivent ?
C. G. – La procédure d’ordonnance pénale est une procédure simplifiée sur la base de faits reconnus par leur auteur et réservée aux faits de moindre gravité pour des personnes ayant commis leur première infraction. Elle conduit au prononcé de peines de suspensions de permis de conduire, d’amende et de stages de sensibilisation, sans passer par la procédure d’audience publique du tribunal. Leur regroupement au cours d’une même audience de notification permet de faire intervenir durant une heure, devant l’ensemble des prévenus, une association spécialisée dans la sécurité routière, avant que le délégué du procureur n’expose le sens de la peine prononcée par le juge.
L’utilisation du téléphone au volant devient une cause majeure d’infractions et d’accidents. Votre avis ?
C. G. – On aura beau perfectionner l’assistance au conducteur dans ses moyens de communication à autrui durant les trajets, on ne fera jamais disparaître le fait que, dès lors que le conducteur communique alors qu’il conduit, il est déjà en dessous du seuil de concentration qui doit permettre de minorer au maximum les risques d’accident. De plus, les gens font même des SMS au volant ou encore se prennent en photo, comportements totalement accidentogènes.
Le téléphone portable est devenu un facteur majeur d’accident, sur les longs ou courts trajets, et le plus inquiétant c’est que la plupart des appels sont dépourvus de critère de nécessité absolue et d’urgence. Il faudrait plaider pour la mise des téléphones dans le coffre. Le problème est qu’aujourd’hui les mêmes téléphones servent de GPS, voire de partage d’information sur les contrôles et radars routiers.
La conduite en situation de délit (alcool, drogue, sans permis…) peut avoir des conséquences graves au-delà du risque de se faire arrêter par les forces de l’ordre. Votre position ?
C. G. – J’ai pour habitude de dire aux prévenus qu’ils ont eu beaucoup de chance de se faire arrêter le jour du contrôle, avant d’être impliqué dans un accident corporel voire mortel de la circulation. Les contrevenants ont le réflexe de concevoir la situation par rapport à la sanction qu’ils vont devoir subir, et au regard de la restriction de leurs libertés individuelles. Mais derrière un accident, ce sont surtout des vies brisées dans leur quotidien, étant précisé que la perte d’un proche est parfois moins difficile à gérer que le soutien de personnes gravement handicapées. Ce sont des vies entières qui en sont affectées… à perpétuité.
Que pensez-vous de cette démarche initiée avec la Préfecture et les chambres consulaires pour mobiliser les entreprises autour de la prévention du risque routier ?
C. G. – Il s’agit d’une initiative qui correspond à un vrai besoin, centré sur le domaine professionnel au sein duquel les responsabilités se déclinent à la fois pour l’employé conducteur mais également pour l’employeur. Ce dernier ne peut ignorer les conséquences positives, sur l’exploitation de son entreprise, du respect des règles de conduite par ses salariés. En effet, le non respect de la loi engendre non seulement des suspensions de permis de conduire qui empêchent l’exercice de l’activité, et la perte des compétences d’un salarié est souvent très invalidante, mais encore des accidents dits « du travail » aux lourdes conséquences humaines et matérielles, notamment pour les petites sociétés. Il faut aussi envisager la répercussion négative pour l’image de l’entreprise d’accidents graves survenus dans le cadre de l’exercice de la profession.
Il est du devoir de l’employeur d’assurer le bon exercice de leurs fonctions par les salariés, et la sensibilisation au risque routier est à ce titre tout à fait déterminante. Sans compter que l’employeur est aussi redevable d’une responsabilité de droit pour les infractions commises par des salariés qu’il ne dénoncerait pas.